À quoi reconnait-on le retour en fanfare (même pas un jeu de mot avec la garde républicaine) d'une étoile ? Elle enchaîne plateau de la Star Ac', sortie d'un nouvel album et surtout, revenge spot publicitaire dans le même mois. Dans la famille des reines de France, je demande Aya.
J’ai beau être journaliste beauté, je ne cautionne pas tout de cette industrie. Les beaux rouges à lèvres, les crèmes qui soulagent ma peau aussi sèche que le désert de Gobi, ou encore la pub J’adore de Dior qui me fait chanter à gorge déployée sur du Rihanna ne suffisent pas à me donner foi en ce milieu qui n’est, souvent, qu’injonctions, mensonges (non, les rides ne partent toujours pas grâce à un sérum), et dépenses d’un PEL dans du vent. Mais les fois où les géants de la cosmétique prennent un engagement politique sont si rares qu’elles méritent d’être soulignées, et c’est le cas de Lancôme.
Pour ceux qui auraient mieux à faire que traîner devant les écrans (qui êtes-vous et donnez-moi vos tips), la griffe française vient de dévoiler son dernier spot publicitaire à l’occasion de sa campagne de Noël, mettant en scène notre Aya Nakamura nationale aux côtés de Julia Roberts. Un faux train en 3D, deux égéries de taille et une musique en fond : “Je ne regrette rien” d’Edith Piaf. Et bim, dans les dents de tous les racistes, qui lors de la rumeur selon laquelle le président Emmanuel Macron avait proposé à la chanteuse de reprendre ce titre pour les JO, avaient déversé une vague de haine sans précédent. “Un joli pied-de-nez” comme dit le média Ancré, démontrant qu’un spot pour le jus La Vie est Belle peut être irréfutablement politique, et que les normes de beauté, marquées par un racisme profondément ancré, tendent à se transformer… La roue tourne est peu à peu en train de tourner, comme dit Francky.
Si je veux me transformer en prof d’histoire pour les trois prochaines minutes, c’est bien pour vous faire comprendre qu’une femme noire dans une publicité de marque de parfum, ça relève d’une évolution folle qui n’était pas gagnée au début. Dans notre monde, tout n’est question que de normes de beauté, c’est-à-dire les critères que les femmes doivent remplir pour incarner un idéal (et donc réussir sur tous les plans). Construites sur un passé colonial et religieux, ces normes continuent d’influencer les marques, les tendances, les pubs, et plus globalement l’espace médiatique.
Si l’on devait retourner aux origines de ce concept de beauté idéale, ce serait probablement à l’Antiquité. Dans son “Histoire de l'esthétique”, le philosophe polonais Władysław Tatarkiewicz associe la conception de beauté chez les Grecs et les Égyptiens à la dimension spirituelle ; le maquillage de l’époque était utilisé pour imiter les Dieux et communiquer avec eux. Plus tard, au Moyen Âge, ce lien entre beauté et spiritualité se renforce avec l’expansion du christianisme dans l’actuelle Europe. Les femmes doivent sembler pures et vierges, comme Marie, représentée avec un teint et des yeux clairs. Vient ensuite la période de colonisation, où « les colonisateurs se rendirent en Afrique, en Asie et en Amérique latine et y introduisirent l'idée que la blancheur était un idéal, que rien n'était supérieur à la blancheur. Être blanc signifiait bénéficier d'un meilleur bien-être économique, d'un emploi plus stable et d'un niveau d'éducation plus élevé », expliquait à Teen Vogue Amira Adawe, fondatrice de l'association The Beautywell project qui milite pour la fin aux pratiques d'éclaircissement de la peau. Ajoutons à cela le fait que la peau foncée soit associée au travail en extérieur, et donc à la classe sociale “inférieure” (l’esclavage aux États-Unis a perpétué cette idée), et on obtient une mentalité coloniale qui coule les fondations du monde de la beauté tel qu’il est aujourd’hui.
La suite, on la connait : les femmes noires sont invisibilisées des supports en papiers glacés (Christelle Bakima Poundza en parle mieux que moi dans son essai “Corps noirs”), les marques de maquillage mettent des décennies à développer plus de deux teintes de fond de teint pour les femmes noires, et l’on voit fleurir sur le marché des produits d’éclaircissement de la peau. Non seulement ces derniers renforcent l’idée selon laquelle une peau blanche est plus désirable qu’un épiderme foncé, mais ils sont en plus remplis d’ingrédients toxiques pour la santé des consommateur.ices. La double peine dans toute sa splendeur.
Le travail de “décolonisation” de la beauté est en marche. Anok Yai, Aya Nakamura, Lous and the Yakuza, Naomi Campbell en tête de proue : si elles restent toujours (et malheureusement) minoritaires, les figures noires dans le monde de la mode et de la beauté sont là pour rester. Tout comme le nouveau mouvement de l’A-Beauty (African Beauty), qui met en avant les soins de la peau inspirés de l’héritage africain, à travers des marques comme Koba Skincare, Izaho Botanicals, S’Able Labs et tant d’autres.
Je vous le disais, j’aime la beauté, mais trop de choses de cette industrie me font hérisser les poils (que je n’ai plus, puisque je les ai éradiqués à coup de laser…). C’est pourquoi je me ferai un plaisir, dans la prochaine newsletter, de vous dire carrément pourquoi la grande partie des produits que nous achetons sont inutiles. J’en profite, un jour peut-être une marque me suivra sur ce projet éditorial et je ne pourrais plus rien dire du tout hihi.
Bisous.